Avril 2002
Nous quittons Cochin
escortés par la police. Grève générale et interdiction à tous véhicule
de rouler ce jour-là. Dans le nord du pays, rien ne va plus entre
Musulmans et Hindouistes : attentats, représailles, manifestations,
grèves. L'actualité nous talonne depuis le Népal. A Bombay, à
peine avons nous sombré dans le sommeil qu'ils nous faut rembarquer
enfants épuisés et tonnes de bagages dans un taxi pour gagner l'aéroport.
Ici, les vols partent
à trois heures du matin !
Arrivés à Nairobi (Kenya), ils nous faut prendre des visas pour
transiter dans le pays. Les compagnies aériennes assurent que ce
n'est pas nécessaire, les douaniers, si. Ce sont eux qui l'emportent
finalement. Par ici les dollars. 4 heures de route jusqu'à Arusha, de
l'autre côté de la frontière Tanzanienne et, tout au long du
trajet, des Massaï vêtus de rouge, fiers comme des empereurs déchus,
marchent et marchent inlassablement. Ils nous font forte impression
mais refusent absolument d'être photographiés.
Stella nous accueille sur place avec son grand sourire. Elle a créé
un petit Tour Opérateur spécialisé dans les safaris (l'une des très
rares compagnies tanzaniennes) et préparé un programme sur mesure
pour les quinze jours à venir. Des mois que nous sommes en contact.
Vive internet.
Cela commence par la visite d'un village local où nous découvrons le
mode de vie des Arusha (l'autre grande ethnie locale), la visite du
marché local (achat de machette obligatoire, la troisième du voyage)
et, le soir, une petite séance de cinéma en plein air à l'Alliance
Française. Au programme :
" Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ". Les enfants
adorent. Nous, on le revoit avec grand plaisir. Quel bonheur de se
laisser entraîner dans une histoire quand l'auteur a de
l'imagination. On se régale encore durant des jours à reparler du
film avec les enfants. A se remémorer la liste des " La mère
d'Amélie poulain aime : ranger son sac. ", " La mère d'Amélie
Poulain n'aime pas : avoir les mains ridées par l'eau. " Vous
souvenez-vous de
quelques uns ?

Les choses sérieuses commencent avec l'excursion dans le parc
animalier d'Arusha. Le plus proche, l'un des moins connus et pourtant,
le seul où l'on puisse MARCHER dans la nature, hors des pistes, à la
découverte des animaux.
Ici, pas de lion (d'où le trek) mais nos premiers buffles, singes,
girafes, phacochères et éléphants. On ne peut que recommander
l'endroit, vraiment beau. En plus, on passe la nuit au Momella Lodge
dans le bungalow même où dormit trois mois durant John Wayne lors du
tournage du film " Hatari ".
C'est pas une référence ça ? A deux cent mètres de l'hôtel se
trouve une grande mare où vit un couple d'hippopotames et où les
girafes viennent boire le matin. Non loin, le lac Momella est tout
simplement rose de flamands et nous passons un long moment à observer
ces oiseaux étranges (surtout le bec).
Nous enchaînons ensuite les parcs naturels dont chacun propose
paysages et végétation différente. Arusha était montagneux, le
Tarangire regorge lui de baobabs et d'éléphants. Que l'on peut
approcher au plus près. Un peu trop peut être, car tandis que nous
contemplons le spectacle d'un éléphanteau tétant sa mère, le papa
se tourne vers notre 4x4, déploie ses oreilles et les remue
violemment. Elias, notre chauffeur-guide pour ces douze jours
remet le contact. Il est temps de laisser la petite famille
tranquille.
D'ailleurs une " heavy rain " (prononcer " à vaches
qui pissent " nous tombe dessus à ce moment et nous recevons sur
la tête en une heure plus d'eau qu'il n'en tombe sur la France en un
an. Cette année, la saison des pluies est en avance, dirait-on.
Avantage : tout est vert et la nature somptueuse.
Inconvénient : dans les hautes herbes, il est plus difficile de repérer
les animaux. Cela ne nous empêche pas d'assister à une scène de
chasse mettant aux prises un lion solitaire (sinon ce serait les
lionnes qui chasseraient, le lion est l'animal le plus feignant de la
jungle) et une famille de phacochères. C'est le père qui se dévoue
et entraîne le fauve loin de ses enfants. Comme les pumba courent
bien plus vite qu'on ne le pense, le lion finit par se lasser et
s'allonge un peu plus loin sur la piste pour remâcher
sa rancoeur.
Les lions réussissent 50% de leur chasse, les guépards
85%, mais comme il leur faut 20 minutes pour récupérer après leur
accélération de 0 à 100 km/h en une seconde !!!, il se font piquer
leur proie à l'arrivée par les hyènes une fois sur deux. Nous en
sommes donc à 3/5 : éléphants, buffles et lions. Léopards et
rhinos manquent encore à notre tableau de chasse pour
réaliser le fameux " Big Five " des chasseurs du temps
jadis.
Notre première nuit sous la tente dans ce lodge perdu du bush nous
permet de faire connaissance avec les mille-pattes locaux (shongololo).
Non pas les scolopendres venimeux des tropiques, mais de braves
bestioles, fascinantes à regarder avancer par vagues de pattes
successives, absolument inoffensives
et grosses comme des orvets. La notre doit bien mesurer quinze centimètres
de long et nous avons le plus grand mal à détourner les enfants de
leur projet d'adoption.
Babou en revanche (" viel homme " ou " ancien " en
swahili), l'homme à tout faire du camp, est ravi de me céder son bâton
de pasteur pour une somme très raisonnable. Je suis ravi aussi. Ici,
tous les Massaï, dès qu'ils sont en âge de marcher se promènent
obligatoirement avec leur bâton et souvent également, leur lance. Le
problème, c'est que la Tanzanie est très fréquentée par les Américains.
Tout ce qui peut intéresser le touriste coûte ici un prix
délirant.
Mais alors, vraiment délirant. D'ailleurs, pour dire
la vérité, la Tanzanie est le pays que nous avons traversé où la
vie est la plus chère. La Polynésie, en comparaison est un pays de
cocagne. Et pourtant. En plus, comme on est dans les critiques, il
n'est pas question ici d'espérer faire copains avec les locaux comme
ça. Jusqu'à preuve du contraire (c'est à dire longue fréquentation
ou sortie des sentiers battus) tout Blanc est un touriste, c'est à
dire une pompe à fric que l'on actionne chaque fois que possible.
C'est comme ça. Les vrais contacts humains nous serons ici comptés
(le dernier jour seulement, en fait).
Bon, munis de notre bâton de pèlerin, nous partons pour le Serengeti,
THE parc, qui se partage entre la Tanzanie et le Kenya.
En cours de route, sur les pentes du célèbre Ngorongoro, nous
faisons halte dans un village Massaï où il est enfin possible
d'immortaliser sur la pellicule des représentants de ce peuple réellement
à part. Les Massaï, éternellement vêtus de rouge, ne se
nourrissent que de viande et de sang (parfois un peu de bouillie de maïs,
mais pas trop, hein).
Manifestement, ils résistent de toutes leurs forces à
l'occidentalisation.
Ils effectuent pour nous (comme pour tous les touristes cela va de
soi, ce sont ici des Massai show-men) leur fameuse danse faite de
sauts verticaux et nous font visiter leurs cases. Nous nous glissons
dans la case de classe du village où les écoliers sont en plein
cours de chant. Sympa. On les encourage de quelques shillings pour
l'achat de cahiers scolaires, puis nous filons à travers cette plaine
immense d'Afrique Orientale où les enfants peuvent assister au délicat
spectacle d'un lion couvrant sa femelle en lui mordillant la nuque.
Il faut faire vite pour les photos, car l'animal qui s'y reprend une
bonne dizaine de fois par jour en période de chaleur ne s'attarde guère
sur les préliminaires. Partout, les cigognes profitent de leur séjour
estival en Afrique en attendant de se remettre en route pour l'Alsace.
Peu avant notre arrivée dans le magnifique lodge de Seronera (c'est là
qu'il faut dormir !), notre route croise celle d'un serval. Le plus
gros des chats ou la plus petite des panthères, au choix. Un animal
infiniment gracieux et beau en tous cas.
Ce lodge, à présent, parlons en. Construit au cour de la savane sur
et autour d'un énorme rocher dont les parois servent parfois de mur
aux pièces.
Marabouts, éléphants, hippos, mangoustes rodent tout autour, "
marmottes " et lézards violets s'égayent dans le jardin. C'est
vraiment Out of Africa.
Surtout le soir, une petite bière à la main, face au soleil couchant
pendant que les enfants escaladent les rochers pour tenter
d'approcher
les wombats (sortes de marmottes locales).
La journée ? On la passe à courir le bush en quête de poil et de
plumes. 99% de chance de voir les guépards, 5% les léopards, nous
assure-t-on. On fera tout le contraire, évidemment. Ayant le bonheur
d'observer une superbe panthère près d'une heure durant et par deux
fois, mais n'apercevant pas le bout de la queue de la plus petite
" cheeta " ailleurs que sur l 'écran de télévision de l'hôtel
qui leur consacre ce soir-là son documentaire.
La veille, c'était soirée danse africaine. Touristique certes, mais
un régal quand même. Comme disait Yannick Noah " on a
vraiment
le rythme dans la peau". Fin de la séance humour noir.
Mais notre plus grand bonheur, pour dire la vérité, est de tomber,
à deux pas de l'hôtel, sur une famille de mangoustes dont nous
barrons sans le savoir la voie d'accès à leur terrier (c'est-il
clair ?). Après avoir minaudé un bon moment, elles se décident à
nous contourner au plus près, quelques centimètres à peine, se
dressant sur leur pattes arrière comme des meerkats et nous observant
avec circonspection. On fond. On adore ces bêtes-là. On va se lancer
dans l'importation, on vous le dit.
Impalas, zèbres, gnous, girafes font vraiment partie du quotidien. A
ce stade,
les enfants ne relèvent déjà plus la tête de leurs cours
(ils travaillent dans le 4x4) que pour les fauves ou les animaux
nouveaux. Elias n'en croit pas ses yeux. Ces gosses se blasent à une
vitesse incroyable et c'est à nous de leur répéter toutes les cinq
minutes : " mais regardez, bon sang ! On est en Afrique, quoi !
" (et ça coûte un max en plus, fumiers de gosses.). Mais où
sont passés les éléphants d'antan, les première antilopes aperçues
une semaine plus tôt et qui nous faisaient sauter d'excitation ?
Nous en sommes donc rendus à 4/5 à présent. Ne manquent plus que
les rhinos.
C'est le non moins célèbre cratère du Ngorongoro, véritable zoo
naturel (animaux " prisonniers " du cratère), qui nous les
donne. De loin, malheureusement. Mais de tout près les hippos et plus
encore les lions qui viennent ici chercher l'ombre de votre véhicule
pour poursuivre leur petite sieste quotidienne. Sandra, à qui Elias
avait refusé de s'attarder pour contempler les hippos de Momella en
lui assurant qu'on en verrait plein d'autre plus tard, s'est mis à récriminer.
Et vas-y que je te met le 4x4 en position et que piqué dans son
orgueil notre Elias pourfend le marécage pour gagner une mare à
hippos fort bien achalandée.
On pense à Fantasia (de Disney) en voyant les mastodontes rouler sur
eux même dans l'eau, flottant comme des tonneaux. Sympa. Elle est
contente Sandra.
Sur la route du retour, nous faisons du hors piste pour nous immerger
dans l'hallucinante migration des gnous. " Et mille et mille et
mille et mille. "
Un garde-manger ambulant de première classe pour tous les carnivores
que nous voyons ici et là : lions, hyènes, chacals, vautours et
marabouts (eh oui !), se repaîtrent des éléments les plus
faibles du troupeau.
Impressionnant. Plus loin, un vieux lion éreinté traîne une
carcasse de gnou plus grosse que lui.
Voilà. Fini les grosses bêtes en attendant l'Afrique du Sud où nous
l'espérons, les graciles guépards accepteront de se montrer à nos
yeux. Pour clore notre séjour tanzanien, nous souffrons deux
heures
durant sur des pistes défoncées. Direction les derniers bushmen. Des
" clic-men " dont la langue n'est pas aussi claquante que
leurs compères du Kalahari (" Les dieux sont tombés sur la tête
"), mais dont le mode de vie est identique.
Eux aussi vivent comme nos ancêtres de l'âge des cavernes : en plein
air, utilisant le bois et la pierre pour seuls outils, dormant à la
belle étoile ou sous des rochers et ne se nourrissant que de ce que
le bush leur fournit : animaux chassés à l'arc, insectes, fruits et
racines. Ils montrent aux enfants comment allumer un feu avec deux
morceaux de bois (on a tous rêvé de faire ça !) et comment tirer à
l'arc. On est impressionné par la façon dont il arrive à redresser
une branche courbée pour en faire une flèche rien qu'en la
mordillant. Ils fument un tabac sauvage qui les fait tousser et
pleurer bruyamment mais semblent beaucoup apprécier.
Une occasion de plus pour les enfants de repartir en guerre contre
nous. C'est vrai qu'on avait promis d'arrêter de fumer en partant
autour du monde et c'est vrai qu'on ne l'a pas fait. On a repoussé la
date limite au retour.
Ca va être dur mais il faudra bien s'exécuter. Là, ils ne nous le
laisserait pas passer.
Le dernier jour, on file sans grand espoir à deux heures de voiture
de là pour se rendre au camp de base du Kilimandjaro. Le temps est
couvert. On ne saura pas si " elle lui font un blanc manteau
" ou pas. Arrivés aux portes du parc, Elias nous dit " voilà
! " - Voilà
quoi ? - Les portes du parc national. On a fait plus
de deux heures de voiture (et on va se retaper les mêmes) pour voir
la porte d'un parc national.
Pas contents les Trottemenus. Au moins faire une ballade. " Pas
possible, il faut payer pour entrer dans le parc ". Pas du tout
contents les Trottemenus.
Finalement, on convainc Elias de nous trouver un " guide "
pour se balader dans la campagne environnante. Thomas est un gars
vraiment sympa qui nous conduit jusqu'à une cascade proche.
Et là, bien sûr, puisqu'on a fait enfin l'effort de sortir des
sentiers
battus, on tombe sur une panoplie de mioches supers et de
villageois
très sympas. Personne ne tend la main en réclamant des Shillings et
on peut même faire des photos (extra les vieilles buveuses de bière,
non ?). On discute, on rigole, bref, on est entre êtres humains. Et
en plus, cadeau des cadeaux : juste au moment de regagner la voiture,
les enfants trouve, dans un buisson, un caméléon. Un vrai. De près,
c'est vraiment, un animal très étonnant. Quelle tronche !
Même qu'on le garde jusqu'à l'hôtel (on va culpabiliser sérieux
avec ça, après l'avoir relâché).
Puis on embarque dans le bus. Nouveau visa kenyan. Passez à nouveau
les dollars (c'est vraiment l'arnaque) et arrivée de nuit à Nairobi.
On ne sait où dormir. En dépit de l'avertissement d'une touriste, on
suit les chauffeurs jusque dans leur hôtel de proche banlieue ("
je te dis qu'ils ont une bonne tête "). Grand bien nous en
prend, ils sont adorables, trouve une pizzeria en route pour les
enfants et nous conduisent chez " Hannah's ".
Nous sommes ici chez nous. C'est aussi sympathique que bruyant. De
toutes façons, Jules a réglé sa montre sur 3 h du mat. L'horreur.
On s'envole pour Johannesburg. Plus que trois mois. Si on ne trouve
rien à la place de Madagascar (ça n'a pas l'air de s'arranger), deux
mois seulement.
Merde. Rentrer. Déjà ?
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